- VERTICAL ET HORIZONTAL
- VERTICAL ET HORIZONTALVERTICAL & HORIZONTALLa croisée d’un axe vertical et d’un axe horizontal constitue l’épure symbolique de l’expérience humaine. La croix est l’archétype du partage. Aussi la retrouve-t-on investie dans les valeurs de justice, de connaissance et d’éthique. C’est elle qui articule les schèmes cognitifs ou symboliques de partition, répartition, position, opposition. Elle détermine un partage ontologique de l’être entre l’horizontalité de l’immanence et la verticalité de la transcendance. Mais elle est tout autant l’archétype de la totalité. Aussi retrouve-t-on la croix derrière tous les symboles d’union, de communion, de complétude, de réciprocité, de symétrie, d’équilibre. Elle est ainsi la forme privilégiée de la coïncidence des opposés.La croisée verticale-horizontale est tout d’abord un symbole de gravitation ou d’équilibration. Elle constitue le prototype de toutes les valeurs de stabilité. Il est signifiant que la racine indo-européenne st renvoie à la position verticale humaine. C’est cette expérience de la station verticale qui déploie phénoménologiquement un monde stable proprement humain. Le sens premier de la croix est celui d’une attitude qui à elle seule différencie l’humain de tout le règne animal. Gaston Bachelard a montré les liens, dans une poétique de l’espace, entre verticalisation, vertébralisation et cérébralisation. La paléoanthropologie confirme ce lien entre la station debout et les processus d’hominisation (prééminence de la vision et de la perception à distance sur l’odorat ou l’ouïe; libération de la face, permettant langage et expression du visage; libération de la main ouvrant les gestualités techniques, guerrières, érotiques, artistiques, etc.; relation frontale définissant l’intersubjectivité; latéralisation de toutes les relations au monde comme à l’autre; cérébralisation verticale entraînant une séparation symbolique du ventral et du terrestre, du dorsal et du céleste au profit d’une polarité cérébrale-céleste et génitale-terrestre, etc.). Le centre de gravité du corps humain se situe au niveau du nombril — ce qui explique le rôle symbolique de celui-ci dans la métaphorisation des processus d’équilibration. C’est à partir des schèmes de gravitation (abaissement ou élévation du centre, largeur de la base, etc.) qui en résultent que toutes les positions humaines prennent valeur de symboles: triangle latéral stable de la position du lotus, verticale basse et triangle de profil du zazen, cube solide du guerrier debout, X vertical de l’orant, horizontalité relâchée ou flottante du dormeur, cercle ou sphère du fœtus, triangle instable du Christ crucifié... Ce sont ces prototypes posturaux que mettent en scène et dynamisent tous les arts de la gestualité et de la respiration (danse, théâtre, chant, mime, gymnastique, combat). Bien plus que la main, la métaphore centrale pour désigner Anthropos est ici celle de la verticalité de la colonne vertébrale, et son empilement de segments vertébraux, comme autant d’unités horizontales de coordination anatomo-fonctionnelle. C’est d’ailleurs là la base de la médecine psychosomatique traditionnelle (cf. I. Tsuda, Le Triangle instable ). C’est exactement le symbole osirien de la colonne djed qui constitue la forme verticale de sa résurrection. Précisément, Osiris, comme tous les dieux ou héros à mystères, est mort à la dimension verticale. Il a été éparpillé selon les quatre directions horizontales de l’espace terrestre, sa castration venant redoubler symboliquement ce «rapt» de la verticalité du dieu martyrisé. À la verticalité potentielle de conscience s’oppose l’aliénation horizontale dans le multiple, la dispersion, le phénoménal. L’attitude corporelle est ainsi le meilleur reflet, ou miroir de l’âme, et l’image de la disposition inconsciente de l’esprit. La croisée verticale et horizontale constitue fondamentalement le symbole de l’attention, de la vigilance, de l’équilibre et de la mobilisation de l’énergie.La croix est un symbole de centration. Elle se répartit autour du point commun aux deux axes. Elle est alors le prototype de tout repère, spatial ou temporel. Sur le plan d’une genèse empirique de l’esprit, cette croisée structure et déploie l’observation comme relativité entre observateur et observé. Elle organise l’expérience humaine à partir du jeu possible entre les deux axes de l’acte de connaissance: l’axe subjectif et l’axe objectif. Précisément, Jean Piaget a montré comment psychogénétiquement les schèmes de coordination de l’action (et notamment le «groupe des déplacements»), qui stabilisent l’inter- et l’intrasubjectivité, se structurent à partir d’une dynamique de centration-décentration-recentration. Nous retrouvons ici la prééminence du visuel dans l’hominisation à travers la constitution de ces schèmes directionnels. C’est, par le déplacement de l’angle de vue, tout le corps en mouvement qui observe et actualise le groupe de transformations de l’espace euclidien. L’espace visuel se déploie ainsi symboliquement entre quatre horizons: devant, derrière, à droite, à gauche. L’horizontalité se dédouble en quatres directions terrestres. Symboliquement, ce seront par exemple les quatre fleuves du paradis terrestre, les quatre regards des divinités tétramorphes, les quatre bras ou jambes de l’androgyne platonicien, etc. D’où la valeur symbolique du «point de vue». Le corps, comme croisée dynamique des axes de centration des regards, est le support analogique pour tous les schèmes symboliques de symétrisation (symbole des jumeaux), de latéralisation (animaux bicéphales, tête de Janus), rotation (dôme, tour des vents). Par exemple, une tour est symbole d’observation verticale parce qu’elle permet de surveiller l’espace et de voir à la ronde. Mais, réciproquement, elle est visible de loin et par là se pose comme modèle et centre de convergence des regards pour les pays environnants. Les valeurs «regarder-être regardé» s’échangent, s’alternent et se complètent à travers la croix. Symboliquement, la croix fonctionne comme un miroir complexe. Du point de vue de la connaissance symbolique, par la croisée verticale-horizontale, tout système de repères peut être dit anthropomorphe.La croix est un symbole d’orientation. C’est dans cette troisième mise en relation symbolique de la verticale et de l’horizontale que se situe le passage suivant de saint Paul: «Ainsi vous recevrez la force de comprendre, avec tous les saints, ce qui est la largeur [latitudo ], la longueur [longitudo ], la hauteur [sublimitas ] et la profondeur [profondum ]» (Éphésiens , III, 18). Ces quatre dimensions symboliques forment le prototype de tout schème d’orientation. Tout d’abord, largeur et longueur recouvrent les quatre horizons et constituent l’espace terrestre d’orientation et de situation géographique. La largeur ou latitude est l’axe équinoxial est-ouest, la longueur ou longitude est l’axe solsticial nord-sud. Leur croisée constitue l’unité de base de la cosmographie ou « projective» du cosmos. Elle correspond aux «quatre pays» de la Mésopotamie, aux «quatre monts» de la Chine, aux «quatre bouts de la Terre» d’Isaïe, aux «quatre coins de la Terre» d’Ézéchiel, aux «quatre vents» des Grecs, etc.
Encyclopédie Universelle. 2012.